Atlas of Forms / Julie Polidoro

Exposition
Arts plastiques
Bernard Chauveau Édition Paris 02

Artiste italienne, Julie Polidoro présente en exclusivité une série de collages explorant le thème de la carte géographique. Plus exactement, ce sont les dessins des frontières qu’elle s’amuse à superposer, jouant des formes, des couleurs, indiquant l’ambiguïté de ces représentations chargées d’histoire bien qu’abstraites dans leurs formes. En complément, elle propose une série de toiles ou de reliefs où elle poursuit son inventaire d’atlas recomposés comme pour mieux convoquer nos codes culturels qui nous font percevoir dans chaque carte un pan de culture. Habilement, elle nous indique aussi combien ce sont aussi des signes et des motifs qui valent pour eux-mêmes.

De nos jours, nous ne pouvons plus nous satisfaire des mots, trop impuissants à conter le monde, sa vitalité, son hétérogénéité et une irréductible beauté déjà condamnée. Toute l’histoire humaine, et plus particulièrement celle de l’Occident, fut justement l’inverse : une manière de nommer, identifier, classer, fixer ce qui nous entoure pour mieux le réduire et se l’approprier. L’homme est ainsi. Son esprit aime à régner sur l’univers. Cette volonté de soumettre s’appliqua d’abord au vivant. Puis vint la réalité physique de notre planète. Alors on inventa le territoire, l’idée de pays puis, bien plus tard, de paysage, le mot datant uniquement de 1462 en flamand et de 1549 en français.

Puis fut conçus mille manières de figurer les limites, les frontières, les séparations abstraites entre deux communautés, deux pouvoirs. Divers régimes pour narrer un espace furent alors inventés. Ainsi, chez les aborigènes, les cartes prennent la forme de chants qui indiquent dans leurs strophes les aléas d’un voyage. Chez les peuples du Pacifique, ce sont les courants marins qui donnent lieu à des schémas abstrait. En Occident, la légende veut que la première carte fut celle de Ptolémée au iie siècle de notre ère ! Mais déjà, dès le ve siècle avant notre ère, on retrouvait diverses représentations d’un territoire, attestant ici de routes, là d’agglomérations. Avec toujours en perspective, le commerce ou la guerre. Depuis, le principe reste le même, seules les techniques ont évolué, affinant à l’extrême ce qu’une carte peut signifier.

Initialement, Julie Polidoro est italienne, résidente à Rome et Paris. Elle est également peintre, autant dire une artiste attachée à ce que signifie la représentation. Si elle fut un temps attiré par le paysage et son actualité (comment faire de ce thème classique un motif contemporain), très vite elle a mêlé ses observations directes aux jeux sur les codes de représentation. Ses paysages devenaient cartes par l’étagement d’espaces soudain vues du ciel. Elle y trouvait là une problématique radicale : la représentation géographique en tant que signe arbitraire forgé par la culture. Dans ses toiles suivantes, le paysage devient carte, vue codifiée du monde. Des nations, elle ne garde que les contours et les frontières, parfois dû à quelques rivières, montagnes ou océans, souvent témoignages anciens de guerres ou de tracés autoritaires des colonisateurs. Il y avait dans ce jeu, l’idée de brouiller les savoirs, réduire la carte à ce qu’elle est depuis toujours : un ensemble de signes et formes abstraites. De couleurs arbitraires également avec ces mers au bleu étincelant, ces montagnes enneigées soudain blanches ou ces dégradés de vert signifiant bois et prairies. Contempler le contour de la France ou de l’Italie signifie pour chacun d’entre nous percevoir un pays, une culture, des paysages avec ses architectures vernaculaires. Chaque carte est aussi une histoire dans laquelle chacun s’inscrit ou plus exactement se projette.

Mais en dernier ressort, le dessin d’une frontière se réduit à une simple forme. Un signe. Chaque pays n’est donc que la variation d’autres pays. Sa singularité, nous l’avons apprise et mémorisée. Or, avec cet ensemble de collages, Julie Polidoro brouille ces savoirs. Plusieurs contours se superposent et s’entremêlent, dialoguent où se contredisent. Selon notre degré de connaissance, nous parvenons à identifier une nation ou un territoire, France, Italie, Chine, Pérou. Qu’importe. Le monde devient une collection de faits et une superposition de formes abstraites colorées qui soudain prennent une dimension plastique composant au passage de nouveaux territoires. Mais surtout leur superposition ouvre sur une sorte d’indécision sur ce qui est à voir. Faut-il y lire une addition de frontières ou bien les contours d’un animal extraordinaire issu de l’infiniment petit ? Une somme critique de territoires ou bien une variation abstraite de figures et de fonds ? Il y a évidemment un peu de tout cela dans ces collages et bien plus encore. Un peu de nos espoirs, nos rêves aussi ! Et de nos peurs sur ce que nous réserve le présent. Finalement, la carte, toute carte, n’est que la peau de nos âmes une fois confrontée à l’arbitraire de l’histoire. En ce sens, ces collages interrogent tout autant notre rapport au passé et à ce qui nous fonde en tant que nation et communauté.

Dans ses dernières peintures ou même les découpes du planisphère qu’elle réalise dans des tissus, Julie Polidoro exacerbe cette tension entre savoir collectif et notre expérience individuelle face à l’œuvre d’art. Si l’art reste ce besoin d’une liberté inconditionnelle pour revisiter à l’infini les signes de notre monde, alors ces œuvres témoignent d’un emprisonnement : celui dans laquelle nous enferme les codes de la culture. D’où l’importance des couleurs, toujours lumineuses, comme autant d’affirmations de l’acte pictural. Que ce questionnement passe par la carte, rien de plus naturel, c’est justement dans ces représentations du monde que se cache sans doute une possibilité de ré-enchanter notre présent pour peu que l’on parvienne à les percevoir comme des formes critiques de ce qui construit nos identités.

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Bernard Chauveau Édition 13 rue d'Alexandrie 75002 Paris 02 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020